Pierre Stoecklin, ancien directeur général des services, propose de vous relater en quatre épisodes l’incroyable destinée de Gaston Berger. On parle souvent, beaucoup, et à juste raison, de Gaston Berger. Mais souvent on ignore l’homme qu’a été Gaston Berger, tout comme on connaît mal sa vie très riche et la carrière unique de ce dernier. Tout y est hors du commun. Ce feuilleton est intitulé « Gaston Berger, un homme d’esprit universel » car Gaston a touché à tout, le plus souvent avec succès, comme Pic de la Mirandole ou Léonard de Vinci ou encore Ibn Khaldûn en d’autres temps

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DEUXIÈME PARTIE : La poursuite des études

Vous l’avez déjà senti dans l’évocation de la première partie Gaston Berger est un être peu banal et son cursus scolaire ne l’est pas moins. Il jonglera longtemps entre la direction d’une entreprise industrielle, les études de philosophie et les initiatives d’écriture.

II-1 Passer d’abord le baccalauréat

Afin de de mettre en œuvre son projet de passer le bac, il demande conseil à Maurice Blondel (1861-1949), enseignant à la faculté d’Aix, philosophe de l’action et du problème religieux qui allait devenir son maître et exercer sur sa pensée une influence essentielle. Celui-ci l’oriente pour la préparation du baccalauréat vers le lycée Thiers de Marseille où enseigne au début des années 1920 René le Senne (1882-1954), philosophe des valeurs et psychologue connu pour son traité sur la caractérologie.

Le Bac en poche, à 25 ans, il s’inscrit à la faculté d’Aix-en-Provence, où il étudie la philosophie avec René le Senne qui a rejoint entre temps l’établissement.

II-2 Les études supérieures

En 1924, il obtient successivement un certificat d’études supérieures en philosophie et une licence qui récompensait une étude sur le thème de la « Liberté individuelle et de la solidarité sociale ». En 1925 il passe son certificat d’études supérieures de physiologie, porte ouverte vers les études de médecine.

De fait, il n’hésitera pas longtemps entre devenir médecin ou philosophe. Fidèle au vœu formulé à Perpignan[1] il choisit de continuer ses études de philosophie en soutenant un mémoire en 1925 dirigé par Maurice Blondel sur la question de la contingence. Ce dernier dénommait amicalement Berger, l’industriel-philosophe. La préface de son mémoire commence ainsi : « Je veux comprendre ; Je veux agir ». Un résumé de ce qui guidera toujours le travail de Gaston, une véritable synergie entre connaissance et action.

II-3 Le docteur en philosophie

Ses études de philosophie seront couronnées par l’obtention du doctorat de philosophie. À cette époque la règle pour l’obtention du doctorat est de présenter deux thèses soutenues le 23 mai 1941 à la Faculté des Lettres d’Aix.

Léon Brunschvicg (1869-1944) philosophe et historien des sciences fut le directeur de sa première thèse, sous le titre « Recherches sur les conditions de la connaissance. Essai d’une théorétique pure ». La thèse complémentaire qui était intitulée « Le cogito dans la philosophie de Husserl », fut dirigé par Émile Bréhier (1876-1952) spécialiste de l’histoire de la philosophie.

Émile Bréhier qualifia son auteur de la manière suivante : « La solidité du style, la fermeté et la cohérence de la pensée, la nouveauté de la méthode fait de cette thèse une œuvre distinguée, qui classe son auteur parmi les penseurs de valeur ».

Voici comment un étudiant présent à la soutenance de thèse rapporte l’événement : « À la Faculté des Lettres, cet après-midi, les thèses de Berger se déroulèrent de 1h30 à 6 heures avec, comme jury : Joseph Segond, professeur à la faculté d’Aix président, Pierre Lachièze-Rey professeur à la faculté de Lyon, Jacques Paliard professeur à Aix, élève de Blondel, et Maurice Blondel 82 ans, à moitié sourd, à moitié aveugle, voix chevrotante, chantante, parle les yeux fermés ; Léon Brunschwig, assis à côté d’eux, ne faisait pas partie du jury, parce que Juif ».

L’auteur de ces lignes ne parle pas de la virtuosité de Gaston Berger qui répond avec la plus grande aisance aux questions des examinateurs. Vers 19 heures, le jury déclare le candidat admis avec mention très honorable et félicitations.

Le rapport de Joseph Segond fait état d’une brillante soutenance de thèse.

Au titre des louanges, on aurait pu ajouter aussi le compte rendu, dans les cahiers du Sud, de Simone Weil, alors réfugiée à Marseille, et qui avait assisté à la thèse.

Gaston Berger obtient pour sa thèse le prix « Gegner » attribué par l’Académie des sciences morales et politiques.

II-4 La pensée de Gaston Berger

Marie-Pierre Escudié[2] a approfondi le sujet de la pensée de Gaston Berger dans sa thèse intitulée « Gaston Berger, les sciences humaines et les sciences de l’ingénieur : Un projet de réforme de la société ».

La thèse de Berger à propos du cogito d’Edmund Husserl (1859-1938), l’inventeur de la Phénoménologie, était la première thèse d’État française sur le maître allemand. La phénoménologie nous rappelle que toute signification prend sa source dans une intention de la conscience et que les gestes et les pensées sont proprement incompréhensibles lorsqu’on les en détache.

Berger se rendit à plusieurs reprises à Fribourg pour livrer au maître les plans détaillés de ses recherches et les premiers chapitres de sa thèse. Le manuscrit a reçu l’approbation totale de Husserl qui considérait la thèse de Berger comme la meilleure étude sur son œuvre. Berger entre dans l’histoire de la philosophie, avec ce rôle décisif d’introducteur dans l’Hexagone de Edmund Husserl. En 1962, à Aix-en-Provence, hommage est rendu à Gaston Berger, Paul Ricœur à cette occasion insiste sur la place centrale de Berger dans la transmission de Husserl en France.

La pensée philosophique de Berger s’est développée dans notamment deux directions notables : la théorique et la caractérologie.

-La théorétique est la démarche choisie par Gaston Berger pour renouveler la question de la connaissance, en la libérant des préjugés philosophiques, moraux et métaphysiques. L’objectif de cette philosophie était de fournir des outils susceptibles d’aider à la compréhension du monde.

Éric Verrax note, avec un certain esprit critique, que les travaux de Gaston Berger sur la théorétique n’ont pas inspirés par la suite les philosophes. On pourrait parler d’un succès d’estime circonstanciel.

-Dans le champ de la caractérologie, poursuivant l’approche statistique des caractères entreprise notamment par Le Senne, Berger ajoute de nouveaux axes dans la classification des types de personnalité. La caractérologie est également tombée rapidement en désuétude, note Éric Verrax.

Sans que ce soit contradictoire avec ses convictions philosophiques il a développé des pensées spiritualistes en liaison avec un penchant affirmé pour l’orient et un goût pour les études mystiques. Il retrouvait dans le mysticisme une clarté supérieure. Il y a, dit Gaston Berger, « une analogie entre le philosophe et le mystique dans la force de se détacher du monde[3]». Au total, il éprouve la nécessité de donner du sens aux itinéraires de pensée dans leur rapport au monde.

II-5 L’œuvre savante

N’oublions pas que Gaston Berger est un homme d’action. Et quoi de mieux qu’une société savante pour distinguer sa pensée et qu’une revue pour la diffuser ? Dès 1926, Gaston Berger fonde à Marseille, avec quelques proches, la Société des études philosophiques du Sud-Est qui regroupe, aussi bien, des commerçants, des industriels que des professeurs et des prêtres… D’ailleurs le chanoine Bourgarel restera son meilleur ami. La société s’est dotée d’une bibliothèque ouverte à tous, une initiative en avance sur son temps. Après trois numéros, le bulletin de la société devient en 1928 une revue à part entière, « Les Études philosophiques », qui sont aujourd’hui encore publiées par les Presses universitaires de France.

En 1937, Gaston Berger est à l’origine de la création du comité de liaison des sociétés françaises de philosophie, qui deviendra en 1966 l’Association des sociétés de philosophie de langue française (ASPLF).

Cette société savante lui permit d’entrer en contact avec un grand nombre de philosophes et d’organiser dès 1938 le premier congrès des Sociétés de philosophie de langue française. 

Entre 1925 et 1940 Gaston Berger fait paraître une dizaine d’articles ou communications dans des revues ou congrès de philosophie. Constamment, il donne une leçon de précision, d’ordre et d’élégance qui font de lui un maître à écrire autant qu’un maître à penser.


[1] Voir première partie

[2] Thèse soutenue le 6 décembre 2013à l’Université Lumière Lyon II École Doctorale 485 EPIC (Éducation – Psychologie – Information et Communication) Laboratoire ECP (Éducation Cultures et Politiques).

[3] BERGER G., « Les thèmes principaux de la philosophie de Husserl », PTP, 1944.

Pierre Stoecklin, ancien directeur général des services

Retrouvez la troisième partie de « Gaston Berger, un homme d’esprit universel » le 13 novembre.