Bonjour,

Robert Watson a été président du GIEC de 1997 à 2002 et président de l’IPBES (équivalent du GIEC mais traitant de la biodiversité). Il co-signe, avec deux autres spécialistes du climat, un excellent article dans “The Conversation », dont je ne peux que conseiller fortement la lecture (un journal québécois en propose une traduction). Cet article traite de science du climat, mais pas que, et ses implications vont bien au-delà. Les auteurs analysent clairement les illusions technologiques dont s’est bercée la communauté scientifique  (y compris, visiblement, les auteurs eux-même) autour du concept de « zéro net émission » ; ils évoquent la grande différence entre ce que pensent les scientifiques et ce qu’ils se sentent autorisé à exprimer sur la place publique ; ils soulignent leur propre responsabilité (et celle, plus large, de la communauté scientifique) dans le fait d’avoir permis le développement de concepts ayant créé de la diversion et engendré des politiques inadéquates.

Cet article est important, car il nous oblige à prendre en compte nos erreurs du passé pour ne pas les reproduire, à un devoir de vérité sur ce que peuvent et ce que ne peuvent pas les technologies, et à ne pas entretenir de fausses illusions. J’invite vraiment à la lecture complète de cet article, mais je mets néanmoins quelques extraits ci-dessous.

Cordialement.

Julian CARREY

“Au lieu d’affronter nos doutes, nous, scientifiques, avons décidé de construire des mondes fantaisistes toujours plus élaborés dans lesquels nous serions en sécurité. Le prix à payer pour notre lâcheté : devoir nous taire sur l’absurdité croissante de l’élimination du dioxyde de carbone à l’échelle planétaire»

« Cependant, les décideurs politiques et les entreprises semblent tout à fait sérieux quant au déploiement de technologies hautement spéculatives comme moyen d’amener notre civilisation sur une voie soutenable. En fait, ce ne sont que des contes de fées ».

« La plupart des universitaires se sentent très mal à l’aise de franchir la ligne invisible qui sépare leur travail quotidien des préoccupations sociales et politiques plus larges. Ils craignent sincèrement d’être perçus comme des défenseurs de certaines questions, ce qui pourrait menacer leur indépendance (…)
Mais il existe une autre ligne invisible, celle qui sépare le maintien de l’intégrité académique et l’autocensure. En tant que scientifiques, on nous apprend à être sceptiques, à soumettre nos hypothèses à des tests et à des interrogations rigoureuses. Mais lorsqu’il s’agit de ce qui est peut-être le plus grand défi de l’humanité, nous faisons souvent preuve d’un dangereux manque d’analyse critique.

En privé, les scientifiques expriment un scepticisme important à l’égard de l’Accord de Paris, de la bioénergie avec capture du CO2 et stockage en sous-sol , de la compensation, de la géoingénierie et du “zéro net émission“. À part quelques exceptions notables, en public, nous poursuivons tranquillement notre travail, nous demandons des financements, nous publions des articles et nous enseignons. Le chemin vers un désastre climatique est pavé d’études de faisabilité et d’évaluations d’impact.

Plutôt que de reconnaître la gravité de notre situation, nous continuons à participer au fantasme du “zéro net émission“. Que ferons-nous lorsque la réalité nous frappera ? Que dirons-nous à nos amis et à nos proches de notre incapacité à nous exprimer maintenant ?

Le temps est venu d’exprimer nos craintes et d’être honnête avec la société dans son ensemble. Les politiques actuelles de “zéro net émission” ne permettront pas de limiter le réchauffement à 1,5°C, car elles n’ont jamais été conçues à cet effet. Elles étaient et sont toujours motivées par la nécessité de protéger le business-as-usual, et non le climat. (…) Le temps des vœux pieux est révolu. »