Vous trouverez ci-après, une lettre rédigée par Pierre Stoecklin, ancien directeur général des services. N’hésitez pas vous aussi à nous faire part de vos lectures, et à nous donner vos avis, vos coups de cœur, durant ces semaines de confinement.

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Les temps que nous vivons sont propices à la lecture ou à la relecture. Sans avoir un esprit particulièrement morbide j’ai relu trois romans qui étaient loin dans ma mémoire de lycéen mais qui me semblaient en phase avec les évènements que nous vivons et assez proches entre eux dans leur portée philosophique et sociale.

Il s’agit de (du) :

– La Peste d’Albert Camus (parution en 1947),

– Le Hussard sur le toit de Jean Giono (parution en 1951),

– L’Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar (parution en 1968).

Comparer ces trois romans de Yourcenar, de Giono et de Camus est une gageure : en effet, si un accord peut être volontiers trouvé sur les relations entre « La Peste » et « Le Hussard sur le toit » ainsi que sur la ressemblance entre leurs personnages respectifs, le docteur Rieux et Angelo Pardi, « L’Œuvre au noir » est d’une autre nature, c’est plutôt une biographie romancée d’un personnage fictif, Xénon, à la fois alchimiste, médecin et libre penseur qui lutte contre l’obscurantisme de ce XVIème siècle que les historiens considèrent comme « un beau siècle », pourtant déchiré par les guerres de religion, les résurgences de l’épidémie de peste noire et la misère.

Pour ma part je vois dans ce trio des points communs :

– Les romans ont été écrits à des moments difficiles pour les auteurs : au sortir de la guerre pour Camus, dans la tempête de l’accusation, à tort, de collaborationnisme pour Giono, et durant la maladie et la mort de sa compagne pour Marguerite Yourcenar.

– Ces romans sont des allégories : de la peste brune (du nazisme) pour Camus, du mal incarné pour Giono et de l’obscurantisme pour Yourcenar.

– Les héros de ces trois romans traversent des périodes où la maladie les escorte d’un flot de cadavres sans qu’ils soient contaminés. Car les justes, ceux qui s’engagent, résistent et bravent le mal sont finalement en capacité de le dépasser. Leurs qualités personnelles intellectuelles et morales, leur honnêteté, leur résolution, leur générosité, leur solidarité envers les autres, leur énergie, leur capacité à agir sans hésitation et leur humanité les placent au-dessus de leurs semblables. Ils restent des hommes libres, épargnés des défauts rencontrés chez leurs congénères : jalousie, haine, violence, égoïsme, cupidité ou indifférence…

L’enseignement retiré de ces lectures rejoint l’actualité et montre que tous les troubles, toutes les crises, naissent d’une trilogie de fondements identiques quand bien même la chronologie des enchainements reste très variable.

– Le manque d’esprit de responsabilité et sa conséquence la cécité aux prévisions et aux signaux des périls ;

– L’incompétence se traduisant par l’inaction et l’incapacité à se libérer des routines et des préjugés ;

– L’obstination sociale refusant l’écoute des autres et le rejet des adaptations en phase avec les évolutions du monde et les aspirations de la société.

Bien entendu la lecture de ces ouvrages est indispensable à la confection de votre opinion !

Alors, bonne lecture.

Pierre Stoecklin