J’ai diffusé il y a quelques semaines un bilan de l’AG qui a eu lieu le 13 mars. Un.e enseignant.e du CSH s’est senti.e blessé.e à la fois par le contenu de ce bilan – qui contenait des critiques de certaines matières de la part des étudiants – et sur la forme (une diffusion à tous). Je souhaiterais tout d’abord m’excuser auprès de la personne en question, ainsi qu’à d’autres personnes qui auraient été choquées mais ne l’auraient pas exprimé auprès de la direction. Je comprends tout à fait la colère qui l’a animé.e à la lecture de ce bilan, et il aurait été de ma responsabilité de censurer certaines parties de ce bilan, ce que je n’ai pas fait. Il s’agit donc d’une maladresse que je reconnais bien volontiers, et pour laquelle je présente mes plus plates excuses.

Le travail réalisé dans chaque groupe de travail n’est que le reflet des points de vue des personnes qui y ont participé (principalement des étudiants), et en aucun cas du mien, puisque je n’ai participé à aucun de ces groupes de travail : je m’occupais uniquement de l’organisation, et suis resté en retrait des discussions, me tenant uniquement à disposition des groupes pour répondre à d’éventuelles questions. De plus, j’aurais été bien mal placé pour formuler des critiques sur les cours du CSH, en connaissant très mal le contenu détaillé.

Afin de lever toute ambigüité, il me semble néanmoins nécessaire de présenter mon propre point de vue sur le sujet. Je ne souhaite, à titre personnel, aucune remise en cause des SHS en général dans la formation des ingénieurs, au contraire. Dans mes activités de réflexions sur les enjeux écologiques, je suis en discussion régulière avec des historien.nes, philosophes, géographes, sociologues, spécialistes du langage, et économistes, par exemple. Et nous n’avons de cesse de constater comment la complémentarité de nos formations initiales, de nos lectures, et de nos thématiques de recherche enrichit mutuellement nos réflexions. La formation de citoyens-ingénieurs ne peut donc bien évidemment s’affranchir des sciences humaines, qui sont précieuses pour comprendre et analyser les trajectoires historiques, les tensions et les enjeux à l’œuvre dans nos sociétés. Quant aux sciences de l’entreprise, elles sont utiles pour que nos étudiant.es puissent s’intégrer au mieux dans leur futur environnement professionnel, voire pour le créer.

Lorsque nous avons préparé ces AG, au cours de réunions rassemblant étudiant.es et enseignant.es de tous les établissements d’enseignement supérieur de Toulouse, l’un de nos constats – que je reprends car je le partage – était celui du « cloisonnement entre savoirs techniques et savoirs sociaux » et la nécessité de « plus de circulation entre les campus et les disciplines ». Dans nos rêves les plus fous, nous imaginions une journée libérée dans la semaine sur tous les campus toulousains, afin qu’étudiant.es et enseignant.es des différents campus – qui sont si séparés dans l’espace comme dans les disciplines abordées – puissent circuler, permettant de véritables échanges et projets interdisciplinaires et inter-campus. La séparation entre celles et ceux qui fabriquent la société et celles et ceux qui la pensent m’apparait, au vu de la situation présente, comme étant – allez, disons le mot – dangereuse. Enfin, celles et ceux qui me connaissent le mieux savent que je passe une partie non négligeable de mon temps libre à lire des travaux d’archéologie et d’ethnologie. Donc, afin que les choses soient très claires, je n’ai rien à redire sur la place des SHS en général dans la formation d’ingénieurs.

Néanmoins, au vue de la situation écologique actuelle, enseignements techniques et SHS ne peuvent selon moi s’épargner la réflexion suivante : qu’enseigner à nos étudiants, et pour quelle société ? Cette question est pour moi centrale et je souhaiterais très clairement que nous nous la posions toutes et tous, quelles que soient les disciplines que nous enseignons.

Alors que le prix Nobel d’économie Jean Tirole nous dit que « pour le climat, il faudra accepter un PIB plus faible », que le président du « collège des directeurs de développement durable » qui réunit toutes les grandes entreprises françaises, vient de reconnaitre que « la croissance nous mène dans le mur », que l’industrie aéronautique toulousaine sera peut-être durablement affectée par la crise du covid, les piliers de notre formation sont ébranlés par la crise écologique, sanitaire – et peut-être bientôt économique – en cours. J’espère que la réflexion sur ces évolutions sera l’occasion d’échanges lucides et sereins entre nous, mais que nous saurons également donner à nos étudiants la place qu’ils méritent dans ces échanges : j’ai trouvé dans ce compte rendu certaines idées qui méritent, de mon point de vue, très clairement d’être reprises.

Cordialement,

Julian Carrey